On nous le répète à l’envi : la technologie est neutre. Un simple outil, un instrument malléable entre les mains de l’humanité. Un marteau peut construire une maison ou fracasser un crâne, n’est-ce pas ? C’est l’utilisateur, et non l’outil, qui est responsable. Pourtant, cette affirmation, si séduisante par sa simplicité, est une dangereuse illusion. La neutralité technologique est un mythe qu’il est urgent de déconstruire.

Car derrière les écrans tactiles et les algorithmes sophistiqués se cachent des choix, des biais, des idéologies. La technologie n’est pas un terrain vierge où l’humanité projette ses aspirations. Elle est façonnée par des humains, certes, mais aussi par des intérêts économiques, des structures de pouvoir, des visions du monde spécifiques. Prétendre le contraire revient à fermer les yeux sur la réalité complexe de sa conception et de son déploiement.

Prenons l’exemple des algorithmes. Ces suites d’instructions informatiques, présentées comme des juges impartiaux, sont en réalité nourries de données. Et ces données, souvent collectées sans notre consentement éclairé, reflètent les inégalités et les préjugés de la société. Un algorithme de recrutement, par exemple, entraîné sur des CV majoritairement masculins, aura tendance à discriminer les candidates, reproduisant ainsi les disparités existantes sur le marché du travail. Ce qu’on appelle communément les biais algorithmiques.

De même, les plateformes de réseaux sociaux, présentées comme des espaces de liberté et de connexion, sont en réalité des machines à manipuler l’attention. Leurs algorithmes sont conçus pour maximiser l’engagement des utilisateurs, quitte à diffuser des fake news, des théories complotistes et des contenus haineux. La chambre d’écho, ce phénomène de renforcement des opinions préexistantes par l’exposition à des informations qui les confirment, est une conséquence directe de cette logique perverse.

La neutralité technologique est d’autant plus dangereuse qu’elle sert de justification à un solutionnisme technologique débridé. Face aux problèmes complexes de notre société (inégalités, pauvreté, crise climatique), on nous propose des solutions techniques simplistes et miraculeuses. L’idée sous-jacente est que la technologie, par sa puissance et son efficacité, peut résoudre tous les maux, sans qu’il soit nécessaire de remettre en question les structures de pouvoir et les inégalités sociales. Cette vision naïve et dangereuse nous détourne des véritables solutions, qui impliquent un changement profond de nos modes de production, de consommation et de gouvernance.

Alors, que faire ? Il ne s’agit pas de rejeter en bloc la technologie, mais de la considérer avec un regard critique et lucide. Il faut comprendre que la technologie est un produit social, façonné par des choix politiques et économiques. Il faut exiger plus de transparence dans sa conception et son déploiement. Il faut développer une culture numérique critique, capable de déconstruire les mythes et de questionner les discours dominants. Il faut enfin, et surtout, refuser de considérer la technologie comme une panacée universelle, et replacer l’humain au centre de nos préoccupations.

La neutralité technologique est un leurre. Une illusion confortable qui nous empêche de voir la réalité en face. Il est temps de briser ce mythe et de nous réapproprier la technologie, non pas comme un simple outil, mais comme un enjeu politique majeur.

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