Nous vivons une époque de prophéties auto-réalisatrices, où l’enthousiasme béat pour la technologie masque souvent un recul insidieux. Loin de nous propulser vers un avenir radieux et égalitaire, l’obsession numérique pourrait bien nous enfermer dans un cycle sans fin de reproduction des inégalités, amplifiées par des algorithmes opaques et une déshumanisation rampante.

Le discours dominant nous vend une « disruption » salvatrice, une révolution permanente où l’innovation résout tous les problèmes. Pourtant, à y regarder de plus près, on constate que cette « disruption » se contente souvent de déplacer les problèmes, de les transformer en opportunités de profit pour une élite technologique déconnectée des réalités du terrain. Prenons l’exemple de l’« uberisation » de l’économie : derrière la promesse d’indépendance et de flexibilité se cache une précarisation massive du travail, où les droits sociaux sont érodés au profit d’une course effrénée à la rentabilité.

La « Big Data », censée nous offrir une connaissance sans précédent du monde, se transforme souvent en outil de surveillance et de manipulation. Les algorithmes, ces équations complexes qui régissent nos vies numériques, ne sont pas neutres : ils sont conçus par des êtres humains, porteurs de leurs propres biais et préjugés. Ainsi, ils peuvent involontairement (ou volontairement) perpétuer des discriminations raciales, sexistes ou sociales, renforçant les inégalités au lieu de les combattre. Pensez à la reconnaissance faciale, une technologie largement utilisée par les forces de l’ordre, qui s’avère être particulièrement inefficace pour identifier les personnes de couleur, alimentant ainsi un cycle de profilage racial.

La promesse d’une communication instantanée et globale se heurte également à la réalité d’une fragmentation sociale accrue. Les réseaux sociaux, censés nous rapprocher, nous enferment souvent dans des « bulles de filtre », des espaces clos où nous ne sommes exposés qu’à des opinions qui confortent les nôtres. Cette polarisation extrême rend le débat public de plus en plus difficile, voire impossible, et favorise la propagation de fausses informations et de théories conspirationnistes.

Il est crucial de développer un esprit critique face à cette « religion numérique ». Nous devons remettre en question les discours simplistes et les promesses illusoires, exiger plus de transparence et de responsabilité de la part des géants de la technologie, et surtout, nous rappeler que la technologie n’est qu’un outil, et que c’est à nous de décider de la manière dont nous l’utilisons.

Pour éviter de sombrer dans une dystopie numérique, il est impératif de repenser notre rapport à la technologie. Cela implique de promouvoir une éducation numérique critique, de soutenir le développement d’alternatives technologiques éthiques et open source, et de remettre l’humain au centre de nos préoccupations. Car, en fin de compte, la technologie ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen de construire un avenir plus juste et plus durable pour tous.

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