L’administration Trump, jamais à court d’oxymores, a annoncé avec fracas une nouvelle initiative baptisée ‘Opération Cigogne Express’ visant à améliorer la sécurité et la qualité des préparations pour nourrissons. Le nom, qui rappelle étrangement l’opération ‘Warp Speed’ pour les vaccins COVID-19, semble promettre une révolution dans un domaine où la vulnérabilité des consommateurs est maximale. L’objectif déclaré est louable : intensifier les tests de métaux lourds et autres contaminants, réévaluer en profondeur la composition nutritionnelle des laits infantiles (une première depuis 1998, tout de même !), assouplir les politiques d’importation et, enfin, instaurer une transparence accrue sur ce marché opaque. Robert F. Kennedy Jr., Secrétaire à la Santé et aux Services Sociaux (HHS), a même déclaré que l’agence utilisera ‘toutes les ressources et autorités à sa disposition’ pour garantir la sécurité des préparations. Une ambition proclamée pour ‘rendre l’Amérique à nouveau saine’ dès le berceau.

Cependant, comme un bébé qui régurgite son biberon trop vite, cette belle initiative risque fort de se fracasser sur le mur de la réalité budgétaire. Les coupes sombres imposées par l’administration Trump à la Food and Drug Administration (FDA) et à d’autres agences gouvernementales chargées de la sécurité alimentaire pourraient bien transformer cette ‘opération’ en une simple opération de communication. On parle ici d’un secteur sensible, régulièrement secoué par des scandales. Souvenez-vous du fiasco Abbott en 2022, avec sa contamination bactérienne et la pénurie nationale qui s’en est suivie. Ou encore du rappel de certaines préparations Reckitt/Mead Johnson Nutrition en 2023. Des incidents qui soulignent la fragilité d’une chaîne d’approvisionnement dominée par quelques géants.

Une récente analyse de Consumer Reports, portant sur 41 produits, a révélé des taux inquiétants de métaux lourds (arsenic, plomb) et de ‘polluants éternels’ (PFAS) dans de nombreuses préparations. Pire, un produit contenait du bisphénol A (BPA), un perturbateur endocrinien bien connu, issu du plastique. Comme le souligne Brian Ronholm, directeur de la politique alimentaire chez Consumer Reports, il s’agit d’un produit destiné à une population extrêmement vulnérable, dont le cerveau et le corps sont en plein développement. L’exposition à ces substances peut avoir des conséquences désastreuses à long terme. La rapidité avec laquelle la FDA a réagi à ces révélations laisse supposer une volonté de prendre le problème à bras le corps. Mais cette volonté se heurtera à un obstacle majeur : le manque de moyens. ‘Le risque est que cela devienne une fausse promesse, surtout si la tendance actuelle des coupes budgétaires et de la réduction du personnel se poursuit’, alerte Ronholm.

Au-delà des contaminations, Kennedy s’attaque également au contenu nutritionnel des laits infantiles, pointant du doigt l’utilisation d’huiles végétales, qu’il juge néfastes malgré un manque de preuves scientifiques solides. D’autres études ont mis en évidence la forte teneur en sucres ajoutés de certaines formules, où le sucre figure parfois en tête de liste des ingrédients. Cette croisade pour une alimentation plus saine s’inscrit dans la droite ligne du slogan ‘Make America Healthy Again’. Kennedy est un fervent critique des aliments ultra-transformés, dont les risques pour la santé sont avérés. La Californie a même proposé une loi pour restreindre leur utilisation dans les cantines scolaires. La FDA a récemment interdit le colorant artificiel Rouge n° 3, suite à des études montrant son effet cancérigène chez les animaux (un effet non prouvé chez l’homme, précisons-le).

Cependant, il est crucial de rappeler que les positions de Kennedy, notamment son opposition de longue date aux vaccins, sont jugées dangereuses par de nombreux experts. Dans un contexte de résurgence de la rougeole, avec des cas mortels (y compris chez un enfant), ses déclarations mettent en péril la santé publique. Ses propos controversés sur la grippe aviaire H5N1, où il suggérait de laisser la maladie se propager dans les élevages pour identifier les oiseaux immunisés, ont suscité l’indignation des scientifiques, qui y voient une stratégie désastreuse et inefficace. La grippe aviaire, qui ravage les élevages de volailles et de bovins laitiers aux États-Unis depuis l’an dernier, a déjà entraîné une flambée des prix des œufs et fait craindre une pandémie. Ainsi, si l’initiative ‘Opération Cigogne Express’ part d’une bonne intention, elle doit impérativement être soutenue par des ressources adéquates et guidée par des principes scientifiques rigoureux, au risque de se transformer en une opération cosmétique aux conséquences potentiellement graves. Le bien-être de nos nourrissons mérite mieux qu’un simple coup de communication.

Cet article a été fait a partir de ces articles:

https://www.scientificamerican.com/article/rfk-jr-wants-to-make-baby-formula-safer-but-trump-budget-cuts-imperil-that/, https://www.scientificamerican.com/article/when-will-we-reach-1-5-c-of-warming-and-how-will-climate-scientists-know/, https://www.scientificamerican.com/article/see-how-measles-outbreaks-flourish-where-vaccination-rates-fall/, https://www.scientificamerican.com/article/evangelina-rodriguez-traveled-to-paris-to-revolutionize-health-care-in-the/, https://www.scientificamerican.com/article/the-psychology-of-shopping-addiction/